L’évènement dont nous parlons aujourd’hui s’est déroulé durant les Troubles, ce conflit au nom euphémique, qui désigne la période de 1969 à 1998 dans les Îles Britanniques, et plus particulièrement dans les six comtés occupés d’Irlande. L’euphémisme réside ici dans le fait que plus de 3700 personnes (dont plus de 2000 civils) ont été tuées en lien direct avec le conflit. Cette période a été marquée par de nombreux évènements, les plus marquants étant l’introduction de l’Internment en 1971 (condamnations à la prison sans procès), le Bloody Sunday en 1972 (quatorze civils tués par l’armée britannique à Derry lors d’une marche pacifiste), ou encore la Grève de la Faim de 1981 (23 prisonniers républicains s’engagent, dix en meurent).
Mais cette Grève de la Faim a en réalité été l’aboutissement d’une longue lutte des prisonniers républicains dans les prisons britanniques. En juillet 1972, à la suite d’une Grève de la Faim, William Whitelaw (Secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord) accorde le Special Category Status à tous les prisonniers politiques. Pourtant, les quelques avantages apportés par ce statut prendront fin le 1er Mars 1976 avec le nouveau Secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord, Merlyn Rees, dans l’idée de criminaliser les luttes nationalistes. Les prisonniers politiques sont alors traités comme des prisonniers de droit commun : ils doivent porter l’uniforme de la prison et effectuer du travail pénitentiaire. C’est ainsi que commence la Prison Dispute. Entre 1976 et 1977, six gardiens de prison sont tués. En septembre 1976, le Volontaire de l’IRA Kieran Nugent est condamné à trois ans dans la prison de Long Kesh (aussi connue sous le nom de H-Blocks). A son arrivée, il aurait dit que si les matons voulaient qu’il porte l’uniforme de la prison, ils devraient « le clouer » à son dos. C’est par ce geste que commence la Grève des Couvertures (Blanket Protest) : Nugent n’ayant eu d’autre choix que de s’enrouler dans sa couverture. À la fin de 1976, environ 40 de ses Camarades l’avaient suivi dans ce geste, se rendant compte que la seule arme dont ils disposaient en prison était leur corps. Cette action n’a pas été partagée par les prisonnières républicaines (incarcérées, elles, à Armagh) car elles n’avaient pas perdu le droit de porter leurs propres vêtements.
La lutte spécifique aux prisonniers politiques républicains a pris une nouvelle ampleur en mars 1978, les prisonniers étant régulièrement victimes d’attaques de la part du personnel de la prison quand ils sortaient de leurs cellules pour se rendre à la douche. Ils décidèrent alors d’arrêter de se laver, sauf si des douches étaient installées dans chaque cellule. C’est alors qu’a commencé la Grève de l’Hygiène (Dirty Protest) : en plus de ne plus se doucher, les républicains arrêtèrent également de vider leurs pots de chambre et étalaient leurs excréments sur les parois de leurs cellules. À Armagh, les prisonnières rejoignent pleinement cette grève en février 1980 après une émeute lors d’un repas quand elles ont remarqué la présence renforcée de gardes pendant que les cellules étaient fouillées. Il est estimé que mi-1978, 250 prisonniers de Long Kesh avaient rejoint la Grève de la Couverture et celle de l’Hygiène.
Voyant que leurs revendications n’aboutissaient pas, la fin de l’année 1980 a été synonyme d’une nouvelle étape dans la bataille contre l’administration de Margaret Thatcher (élue en mai 1979) : la Grève de la Faim. Sept prisonniers bravèrent alors l’opposition de la direction de l’IRA et arrêtèrent de s’alimenter le 27 octobre 1980. L’IRA comptait six volontaires : Brendan Hughes, Tommy McKearney, Raymond McCartney, Tom McFeeley, Sean McKenna, Leo Green, et l’INLA (organisation marxiste) un, John Nixon. Le nombre de sept avaient été choisi pour rendre hommage aux sept signataires de la Proclamation de la République d’Irlande en 1916 (c.f. Insurrection de Pâques). Dans la prison d’Armagh, trois républicaines commencèrent la Grève de la Faim le 1er décembre, Mairéad Farrell, Mairéad Nugent et Mary Doyle.
Le symbolisme de cette forme d’action était très fort et a permis aux Républicains Irlandais de rassembler. Tout d’abord dans la prison puisqu’il y a eu un appel à soutenir au mieux les Camarades grévistes : le jour où la Grève a commencé, 200 prisonniers qui se conformaient jusqu’alors encore aux règles de la prison ont rejoint les Grèves des Couvertures et de l’Hygiène. En dehors des murs des prisons, l’écho s’est fait également avec de nombreuses actions, de plus, cette Grève de la Faim a également eu un fort impact puisqu’elle était largement médiatisée.
La propagande républicaine s’organisait autour de cinq demandes : le droit de ne pas porter l’uniforme de prisonnier, le droit de ne pas participer aux travaux pénitentiaires, le droit de libre association et de mise en place d’activités éducatives ou récréatives, le droit à une visite, une lettre et un colis par semaine et enfin, l’entière restauration de la remise de peine qui avait été perdue lors des protestations. Pour résumer, il était question de reconquérir le statut de prisonniers politiques.
Cette action s’est terminée après 53 jours.
Le 18 décembre, Brendan Hughes avait été informé qu’un accord était en route et en avait conclu que leurs demandes avaient été acceptées. Il a alors dû faire face à un dilemme : pouvait-il faire confiance au gouvernement britannique et mettre fin à la Grève ? L’un des grévistes étaient alors dans un état très critique et c’est ce qui a mené Hughes à arrêter cette action. Malheureusement (et sans surprise), aucune demande n’avait en réalité été acceptée et cette perte de temps et d’énergie a entraîné une colère encore plus grande, qui mènera à la Grève de la Faim de 1981, durant laquelle dix hommes perdirent la vie face à l’intransigeance de la Dame de Fer.